Le brillant succès de Lou Yetu, des bijoux qui réveillent la place Vendôme

20/09/2024

LE PARISIEN WEEK-END. Longtemps, Camille Riou a fabriqué et vendu ses bijoux fantaisie chez elle ou sur les marchés. Jusqu’à ce qu’elle quitte son job pour se consacrer à sa passion. Sa marque Lou Yetu se fait une place à côté des prestigieuses maisons de joaillerie.

Camille Riou est difficile à attraper. Cette entrepreneuse de 30 ans, autoproclamée « cheffe de meute » de la marque de bijoux fantaisie Lou Yetu, qu'elle a créée en 2015, passe son temps à courir après le temps. « Je suis navrée de ne vous rappeler que maintenant, s'excusait-­elle au téléphone, après nos multiples relances. Je suis sur le pied de guerre du matin au soir. »

Quelques jours après, nous la rencontrons rue Volney (Paris 2e), à deux pas de la célèbre place Vendôme, épicentre de la haute joaillerie française. C'est là que se trouve, depuis octobre dernier, le repaire des « loups et des louves », c'est-à-dire la quarantaine de salariés qui travaillent avec elle. Un flamboyant hôtel particulier du XIXe siècle, coiffé d'une majestueuse verrière. Rien à voir avec une sinistre tanière au fond des bois !

Au rez-de-chaussée, une boutique accueille sept jours sur sept une clientèle fidèle et ultra-­connectée. Elle peut venir y retirer une commande passée sur le site de la marque, y découvrir les derniers modèles et les faire personnaliser au stand gravure. « J'ai conçu le comptoir en bois où sont exposés les bijoux en m'inspirant du bar de la cuisine de mon studio, à l'époque où je faisais mes ventes chez moi », se souvient cette surdouée, qui a eu son bac scientifique à 16 ans et se rêvait architecte d'intérieur.

Une vocation précoce

A l'âge de 20 ans, Camille Riou commence à assembler des petits bracelets en ruban assortis d'une phrase poétique et d'une breloque. « Je dois ma passion des bijoux à Renée-Louise, ma grand-mère paternelle. Elle adorait faire fondre l'or d'anciennes pièces pour en dessiner de nouvelles, que des artisans fabriquaient pour elle. » La petite Camille passe ses étés chez elle, en Bretagne. « Je m'approvisionnais dans les drogueries pour créer mes bijoux puis, avec mon petit frère, on les vendait en douce sur le marché. » Un passe-temps que la jeune fille a entretenu en parallèle de ses études de commerce à Lyon, Rome et Shanghai. « Mes voyages ont nourri ma réflexion et mes inspirations. »

En 2010, elle est stagiaire chez le joaillier de luxe Van Cleef & Arpels et vend ses créations le week-end, dans un café de la capitale. « Le patron ouvrait spécialement pour moi le dimanche. Mes clientes, qui me suivaient sur Facebook, venaient pour acheter mes bijoux et en profitaient pour prendre un café ou un chocolat chaud. Il y avait une quarantaine de personnes à chaque fois. » Six mois plus tard, elle part s'installer à Genève, en Suisse, où elle intègre le groupe Procter & Gamble, leader des produits de grande consommation. « J'ai accepté un poste de responsable marketing sans savoir pour quelle marque j'allais travailler. Ça n'est qu'après avoir signé mon contrat que j'ai appris que j'allais m'occuper de croquettes pour chiens ! » raconte-t-elle en riant.

Malgré cette légère déconvenue, la jeune femme persiste et engrange le maximum d'expérience. En parallèle, elle enchaîne les allers-retours à Paris pour ses ventes de bijoux. « Mais, au bout d'un moment, je ne trouvais plus vraiment de sens à travailler en entreprise. Je voyais mes cheffes hésiter à fonder une famille, de peur de se faire placardiser. En 2015, j'ai décidé de démissionner pour retrouver un équilibre. » Avec 5000 euros en poche, elle retrouve Paris et se consacre à temps plein à sa marque, étoffant son catalogue avec des sautoirs à breloques, des bagues et des boucles d'oreilles.

Un chiffre d'affaires en pleine explosion

La jeune femme peaufine son style – désormais identifiable ! –, qui consiste à porter plusieurs bijoux fins en variant les associations selon l'humeur. En plus du succès de ses ventes à domicile et lors de marchés, elle voit sa « communauté » se développer sur Internet. « L'une des clés de ma réussite, c'est que je partage énormément ma vie sur Instagram. Mes clientes aiment cette proximité. Les photos des débuts sont encore visibles sur Facebook car, pour moi, Lou Yetu n'est pas qu'une marque digitale, c'est le résultat d'une longue histoire », analyse-t-elle.

En 2016, elle embauche sa première salariée et loue une échoppe près de chez elle, dans le IIIe arrondissement. L'endroit devient vite trop exigu. L'année suivante, elle trouve un second local, juste en dessous de son appartement. « Je suis attachée à cette boutique, qui revend le mobilier que nous chinons chaque saison pour nos prises de vues, ainsi que les bijoux issus de nos anciennes collections, raconte-t-elle. La société a grandi très vite, c'est assez dingue ! En cinq ans, on a déménagé et triplé notre chiffre d'affaires chaque année. »

Impossible de lui arracher un montant précis – on apprendra seulement que le panier d'achat moyen sur le site est de 70 euros. Idem pour le loyer de son incroyable siège social, que l'on devine exorbitant. « Je reste prudente car je sais que nous sommes très observés par la concurrence. Il ne se passe pas un jour sans que je reçoive une proposition de rachat par un fonds d'investissement. Mais je tiens à conserver mon indépendance, même si cela implique de maîtriser la moindre de nos dépenses. »

Forte de ses 562 000 abonnés sur Instagram, la « team des louves » a du mal à satisfaire la demande. « Les produits sont régulièrement en rupture de stock, la dernière collection s'est envolée en à peine vingt-sept minutes. Il faut compter deux jours en moyenne pour être en mesure de remettre les produits en ligne, et nos clientes sont informées par e-mail de leur disponibilité », souligne Nicolas Lodolo, chef de production, devant la dizaine de salariés affairés à monter des pierres semi-précieuses sur des chaînettes en laiton. Deux étages plus haut, le service client répond aux centaines de commentaires et d'e-mails envoyés chaque jour par la communauté. A quelques mètres de là, Judith Combémorel prépare les contenus destinés au compte Instagram. « On publie quotidiennement trois photos, sans compter les stories (NDLR : images et vidéos qui s'effacent au bout de vingt-quatre heures). » Camille Riou n'est jamais très loin : « C'est moi qui établis le planning des publications. On a remarqué que les photos que j'avais moi-même prises généraient trois fois plus de « likes » que celles issues de notre lookbook. »

La prochaine étape, des bijoux en or

Avec ces multiples casquettes, comment ne pas faire un burn-out ? « Je dois avouer que je suis passée tout près, fin décembre. Je n'arrivais plus à me lever de mon lit. Avec les grèves, nous avons fait un chiffre d'affaires inférieur à ce qui était prévu à Noël. Je suis partie me ressourcer une semaine au Maroc et j'ai recruté un bras droit pour me soulager. Car, si je m'effondre, c'est la boîte qui s'effondre. »

Le Covid-19 n'a pas eu raison de son succès non plus. Les ventes digitales se sont envolées durant le confinement et l'atelier a, depuis, repris son activité. Rassurée, Camille peut désormais s'atteler à son nouveau défi : lancer prochainement une ligne de joaillerie en or fin. « Ça fait un moment que ma grand-mère me demande si je vais enfin faire de « vrais » bijoux, et je voulais m'y mettre tant qu'elle est encore là. » Cette fois-ci, la place Vendôme va vraiment trembler!

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